Concilier l’inconciliable « être mère en prison »

Certaines femmes ne vivent pas leur grossesse comme toutes les autres. Certaines sont enfermées. Leurs sorties sont calculées. Ces femmes sont privées de leur liberté d’aller et de venir. Elles paient le prix de leurs actes, oui. Mais comment gère-t-on une grossesse, un accouchement, quand on est en prison ? Le sujet est sensible. Délicat. Avoir un enfant est déjà un bouleversement pour une femme libre. Alors comment vit-on cet instant de vie sensé être magique derrière les barreaux ? État des lieux sans tabou ni a priori.

« Le plus beau jour de leur vie dans
l’institution la plus glauque de la République »

Aujourd’hui, j’ai décidé de m’intéresser à ces femmes qui vont vivre le « plus beau jour de leur vie » dans « l’institution la plus glauque de la République ». Il faut d’abord savoir que les conditions d’incarcération sont différentes selon les prisons. Chacune a des structures et un fonctionnement propres. Sur 66 864 personnes détenues, 3,26% d’entre elles sont des femmes (Cf. statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues en France – 1er juillet 2015). Très peu tombent enceintes en détention. Mais, qui dit très peu dit tout de même un peu. La loi autorise les femmes qui accouchent en prison à garder leur enfant auprès d’elles, en détention, jusqu’à ses 18 mois. Cet accueil particulier, pour les femmes et leur bébé, existe dans 28 établissements pénitentiaires.

« C’est différent d’une prison à l’autre.
Parfois c’est mieux, parfois c’est pire »

Toute la complexité du sujet est là. Comme le souligne Stéphane Cazes, réalisateur du film « Ombline » : « Tout est différent d’une prison à l’autre ». C’est pourquoi cet article ne doit pas être interprété comme une vérité absolue.

Film Ombline - les mères en prison
Film Ombline – les mères en prison

Tout le monde le sait, la théorie et la pratique ne s’accordent pas toujours. Stéphane Cazes a pu discuter avec ces femmes qui vivaient une grossesse entre ces murs. Quand l’une d’elles tombe enceinte en détention, l’administration pénitentiaire doit lui proposer d’intégrer une nurserie. Stéphane est intervenu grâce l’association GENEPI à la prison de Fleury Mérogis. Il explique que cette prison est l’une des plus adaptées pour l’accueil d’un enfant en détention. Chaque nurserie doit normalement disposer d’une salle de jeux et d’une cour extérieure. Les cellules doivent faire au minimum 15 m2 et être séparées afin que l’enfant et la maman puissent avoir leur espace d’intimité. Les cellules sont ouvertes 6 heures par jour. Cela peut paraître beaucoup. Mais, comme le souligne Stéphane, « Qui dit 6 heures ouvert dit 18 heures fermé ».

« Le lien entre la mère et l’enfant
peut vite être perdu »

Mais toutes les prisons ne disposent pas d’une structure aussi adaptée. La Maison d’arrêt de Versailles, par exemple, en est l’opposé. Elle ne dispose pas de nurserie alors que la majorité des femmes incarcérées dans cette prison ont des enfants. Isabelle Rome, magistrat et auteur du livre « Dans une prison de femmes », a eu l’occasion de se rendre à la Maison d’arrêt de Versailles. Elle y a constaté que dans ce lieu de détention, le lien entre la mère et l’enfant peut vite être perdu. Cette prison dispose d’un parloir, mais à « l’ancienne ». Des lucarnes séparent la détenue de son interlocuteur. Une pièce est tout de même réservée à la famille. Une cellule de 10 m2 parsemée de jouets ici et là, dans laquelle la maman peut recevoir ses enfants. Peu accueillant.

Autre élément clé de ces situations délicates, toutes les femmes détenues enceintes ne peuvent pas obtenir la garde de leur enfant. Faute de place ou de prison mal adaptée. Le fait de changer de lieu de détention peut vite devenir un calvaire. Le témoignage de Sophie, recueilli par Isabelle Rome à la Maison d’arrêt de Versailles est révélateur. Dix jours après son accouchement, elle était séparée de son enfant. Elle ne l’a revu qu’une heure au parloir, une fois par mois. Cette séparation peut être désastreuse pour l’attachement mère/enfant. En étant en prison, la femme ne perd pas (sauf décision de justice) le droit d’exercer l’autorité parentale. Malheureusement, encore une fois, la théorie et la pratique ne s’accordent pas toujours.

Illustration Doomer " L’intimité de l’accouchement mise à mal"
Illustration Doomer  » L’intimité de l’accouchement mise à mal « 

Dans « Ombline », le film de Stéphane Cazes, il y a cette image marquante où, sur le point d’accoucher, Ombline est transportée à l’hôpital. A ce moment-là, la surveillante lui met les menottes. Pour tourner cette scène, Stéphane Cazes s’est inspiré d’un fait divers. Une femme en 2004, a accouché menottée à son lit d’hôpital. Cela avait fait le tour de la toile. Même les politiques s’étaient sensibilisés au sujet. Grâce à la médiatisation de cet épisode, une circulaire a été adoptée le 18 novembre 2004, qui dispose que « les femmes détenues enceintes, ne doivent en aucun cas être menottées pendant l’accouchement, c’est à dire tant dans la salle de travail que pendant la période de travail elle-même ».

Mais que met-on derrière le terme « période de travail » ? Aucune précision n’est apportée à ce sujet. A partir de quand les surveillants doivent-ils estimer que la femme est en période de travail ? C’est pourquoi, certaines femmes encore aujourd’hui, sont menottées pendant leur trajet entre la prison et l’hôpital.

Dans la circulaire, il est également précisé que « la surveillance pénitentiaire ne doit pas s’exercer à l’intérieur même de la salle d’accouchement ». Cela est encourageant pour préserver l’intimité de la femme. Toutefois, il arrive que les surveillants veuillent laisser la porte ouverte. Seul le médecin peut refuser la présence d’un surveillant. Tout médecin ne doit-il pas considérer une femme comme une patiente avant de la considérer comme une détenue ? La question reste ouverte.

« Dès que l’enfant marche,
il ressent l’enfermement »

Dire qu’élever son enfant en milieu carcéral n’est pas le plus adapté est un euphémisme. Rappelons-nous que l’enfant n’est pas détenu, c’est la maman qui l’est. Alors comment concilier les deux ? Surtout quand on sait que l’enfant commence à ressentir l’enfermement dès qu’il sait marcher.

Un enfant a besoin de sortir pour découvrir le monde qui l’entoure. Dès ses 18 mois, il ne sera plus entre ces quatre murs. D’un autre côté, les mères incarcérées ont l’impression que l’administration pénitentiaire veut les éloigner de leurs enfants. Elles se demandent ce qu’elles peuvent faire de l’intérieur pour assurer leur éducation. Comment justifier de garder un enfant en prison jusqu’à ses 18 mois sans que cela affecte ses relations avec l’extérieur, son développement, sa sociabilité ? Comment empêcher des mères, en prison, certes, mais quand bien même, à élever et chérir leur bébé ?

« En France, les associations se battent
pour maintenir ce lien »

Là où l’Etat atteint ses limites administratives, juridiques, morales, les associations prennent le relais. Elles jouent un rôle primordial pour maintenir le lien familial entre l’enfant et la maman.

Isabelle Tuboeuf, directrice de l’association Relais Enfants Parents en Haute Normandie, intervient notamment avec les bénévoles à la maison d’arrêt de Rouen qui dispose d’une nurserie. Elle explique : « En 2014, les bénévoles ont pu accompagner deux futures mamans incarcérées. Grâce à l’association, deux sages-femmes assurent des séances de préparation à l’accouchement. Une puéricultrice diplômée en massages pour bébés propose son aide auprès des jeunes femmes et de leurs tout-petits. L’association organise aussi différents événements et projets afin de faciliter la communication entre l’intérieur et l’extérieur comme la boîte mail des ados, ou un stand photos au marché de Noël. »

Toutes ces initiatives permettent le maintien du lien familial en détention. D’autres associations agissent dans le but d’apporter un peu d’extérieur à l’intérieur et inversement. Ma pensée première est pour le GENEPI, association qui lutte pour le décloisonnement carcérale, pour laquelle j’ai été bénévole pendant 2 ans, ainsi que pour toutes les autres associations qui font un travail formidable.

L’association Relais Enfants Parents a besoin de votre soutien pour continuer ses projets juste ici.

Merci à :

  • Isabelle Rome, auteur du livre « Dans une prison de femmes »
  • Stéphane Cazes, réalisateur du film « Ombline »
  • Association Relais Enfants Parents de Haute Normandie
  • Illustration à la Une « Mélanie Thierry dans Ombline » © All Right Reserved
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Elisa

Diplômée d'un Master 2 en droit pénal à l'Université de Rennes, je suis très impliquée dans la défense des droits fondamentaux et dans les conditions d'incarcération. Comme juriste, je souhaite transmettre ces connaissances pour rendre le droit plus accessible aux particuliers et aux professionnels.

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